Le « projet DFCI CO 110 » concerne la construction d’une piste carrossable destinée a priori à la « défense contre l’incendie », située sur les territoires de Joch, Finestret et Glorianes (Pyrénées-Orientales).

1. Description du tracé

La piste nouvelle serait destinée à relier la piste du mas Sahillà à la piste privée existante au-dessus de Font Chervis. Elle emprunterait d’abord le tracé de l’ancienne piste jusqu’à l’aire de retournement, devrait s’élever sur le versant Ouest de la crête des Feixes, jusqu’à la côte 840 environ, puis passer sur son versant Nord, celui qui domine la plaine de Vinça, jusqu’au voisinage du Cortal des Feixes (côte 853 sur la carte IGN). Au Cortal des Feixes, la piste passerait en versant Est, longeant la crête faîtière à quelques mètres en dessous puis parcourant la crête elle-même jusqu’à la Creu de les Fous, col et point de jonction du sentier de la Croix de Joch avec celui du « tour de Sainte-Anne ». Elle s’élèverait enfin jusqu’à la piste de Font Chervis.

De ce fait, il s’agirait d’une piste « en balcon » qui ceinturerait tout le massif du Puig de Les Feixes dans son intégralité.  La longueur de la partie nouvellement ouverte serait d’environ 4,5 km au départ de Sahillà, dont 3,5 km à créer.

2. Le projet DFCI CO 110 dans les documents officiels

Le projet CO 110 a été porté à la connaissance du public via deux arrêtés préfectoraux. Le premier date de juillet 2023, faisant connaître un « projet d’établissement d’une servitude de passage ».

Le deuxième arrêté est daté du 7 mai 2024 et établit formellement la « servitude de passage et d’aménagement ».

Cet arrêté est accompagné d’une carte topographique explicative sur fond IGN. Nous y retrouvons le tronçon de piste existant (orange). Cette fois, il est bien spécifié « création de piste » à propos du nouveau tracé (jaune), dont on remarque la proximité avec la crête du Puig de Les Feixes. Ce nouveau tracé s’arrête au-dessus du lieu-dit « Font Chervis« .

carte topographique où figure la piste en projet

Le projet DFCI CO 110 et le Plan d’Aménagement des Forêts contre l’Incendie (PAFI) du Conflent.

Ce projet est mentionné dans le « PAFI » du Conflent, document de travail édité en 2018.

La partie 1 (Diagnostic et bilan) de ce plan délimite le secteur concerné, le « secteur 11 ».

Le secteur n°11 (…) comprend une partie des communes de Rodès , Rigarda, Joch, Finestret et la totalité de la commune de Glorianes. Le scénario le plus défavorable prend en compte un départ de feu en zone d’interface sur les communes de Joch, Rigarda ou Rodès (Notre Dame de Domanova) avec un incendie qui pourrait se développer dans le versant exposé à la tramontane et dont la cinétique limiterait l’intervention des moyens de secours. Dans cette configuration la combinaison des facteurs de pente, de vent et de végétation serait très défavorable…

PAFI_CONFLENT_P1_VF, page 82

La partie 2 (Propositions d’aménagement) de ce même plan émet des préconisations :

Le tracé CO 110 est schématisé sur une carte « réseau structurant existant et planifié » (page 7 du document). Apparemment aucune information n’a filtré sur les raisons pour lesquelles ce tracé y a été ainsi schématisé dès 2018.

Le « secteur 11 » fait l’objet de quelques « réflexions » :

Les crêtes au-dessus de Glorianes (…) ont été ciblées comme secteur stratégique en cas de grand feu. Aujourd’hui, l’accès à ces crêtes est très limité et plusieurs projets ont été planifiés dans le cadre de ce PAFI pour améliorer l’accessibilité à ces crêtes. Parmi ces projets, le plus abouti est celui qui a été dessiné sur Finestret (Mas Sahilla) qui permettra l’accès au pic St Anne mais avec des délais de transit routiers extrêmement longs en cas de feu dans la vallée de la rivière des Crozes (Rodès – Glorianes- lieudit « Roca Roja »). Nous préconisons d’étudier plus finement sur la commune de Glorianes un deuxième accès sur les crêtes depuis la route départementale 36a de Glorianes.(…). Un accès par les Aspres, au niveau des communes de Boule d’amont et de la Bastide a aussi été évoqué.

PAFI_CONFLENT_P2_17122018 page 25

Le projet en question est consigné dans un tableau synthétique.

Dans ce même tableau, il est prévu l’implantation de deux citernes, l’une à Font Chervis, l’autre, encore plus isolée, à la Font d’en Pouli.

En résumé, cette piste est censée s’inscrire dans un dispositif de défense contre l’incendie du système de crêtes situées entre la vallée du Boulès (à l’Est) et celle de la Lentillà (à l’Ouest). Il serait nécessaire de prévoir un accès conforme aux normes DFCI niveau 1A. En raison de ce classement, elle aurait une largeur de 5 m de plateforme avec des aires de croisement. Sa pente devrait rester inférieure à 8%, pour permettre le passage « d’engins lourds ».

3. Un lourd impact paysager et environnemental

La piste DFCI CO 110 devrait envelopper le Puig des Feixes en passant à proximité du sommet (Notamment sur l’épaulement situé à la côte 840). C’est une saignée indélébile qui serait ainsi pratiquée et le caractère préservé de ce secteur en serait ainsi, à jamais, annihilé. Pour le village de Joch, la détérioration de son patrimoine naturel le plus remarquable serait une perte irrémédiable. Le coût environnemental du projet est à la fois désastreux et disproportionné.

Or, dans les « considérations » de l’arrêté préfectoral de mai 2024, il est écrit a contrario :

Ce projet de servitude va permettre de pérenniser l’équipement DFCI concerné sans impact majeur sur les parcelles traversées

Il semblerait ainsi que les enjeux environnementaux ne sont aucunement pris en compte. La mission d’évaluation relative à la DFCI (rapport édité par l’Inspection Générale de l’Administration en 2016) précise pourtant :

Les recommandations formulées par la Cour des comptes européenne méritent l’attention des autorités, pour éviter certaines dérives. La mission préconise que les équipements DFCI fassent l’objet d’une réflexion associant l’ensemble des acteurs concernés : cet objectif d’en faire des projets partagés doit se concrétiser à tous les stades, pour leur conception générale d’abord, lors de l’élaboration du PPFCI, pour leur définition précise ensuite, lors du passage à la réalisation. Elle recommande également une approche écologique des équipements, avec une plus grande attention aux impacts environnementaux.

Page 90 du Tome 1

4. Incohérences et contradictions

4.1. Incohérences concernant le tracé retenu

  • Un long détour. Le tracé retenu impose d’abord une déconcertante déviation vers le Nord, au point d’envelopper la « Croix de Joch ». Ce détour provoque un allongement considérable du parcours, et nécessite un long passage exposé au vent et en contre-haut d’une pente couverte de maquis. Longue durée de transit, dangerosité, deux paramètres en contradiction apparente avec les critères usuels de création d’infrastructure DFCI.
  • Une absence de point d’eau. Les deux citernes prévues sur le tracé sont implantées en crête et sont très éloignées de tout point d’eau (les « fonts » qui qualifient leurs lieux-dits sont taries depuis très longtemps). Elles devront de ce fait obligatoirement être alimentées par camions. On peut s’interroger sur la faisabilité, sur le long terme, d’un tel ravitaillement.
  • Une impasse. Malgré son classement en catégorie 1A, la piste CO 110 rejoint une piste existante (Mas de la Serre) convenant certes aux véhicules 4×4, mais non pas aux engins lourds qui sont censés l’utiliser. Pour ce type d’engins, cette piste semble faire l’effet d’un cul-de-sac, ce qui, en principe, est prohibé pour ce type de classement.

Il est tout aussi inutile que dangereux de tenter de s’opposer au passage du feu à des endroits où il est puissant et se déplace rapidement. Seul l’échec est assuré. Il sera combattu avec des chances de succès là où le rapport de forces peut être inversé. (…) Les ouvrages de DFCI (…) doivent être installés (…) : ⇒ à l’abri du vent, ⇒ dans les versants ne recevant pas le vent dominant.

Guide des équipements DFCI édité par la Préfecture du Var

4.2. Contradictions avec l’objectif déclaré

Le projet est censé s’inscrire dans un réseau DFCI qualifié de « structurant ». Or, au-delà de la piste qui devrait être créée, il est manifeste que rien n’est structuré.

L’objectif désigné par le PAFI Conflent semble être prioritairement la desserte des « hauteurs de Glorianes », la crête Est (Roca Durena et aval) semblant être la zone la plus stratégique. Le projet CO 110 en est considérablement éloigné (ce que les « réflexions » du PAFI elles-mêmes soulignent). Le projet ne semble pas être en adéquation avec une cohérence globale sur ce secteur.

5. Un entretien coûteux et illusoire

La servitude établie par l’arrêté préfectoral de mai 2024 délègue aux communes concernées le « droit » d’entretien et de débroussaillement (ce qui devient un devoir selon le Code Forestier) :

Elle comporte le droit de créer et d’aménager les équipements concernés, d’en assurer l’entretien, (…), d’en débroussailler les abords conformément aux dispositions de l’article L 134-2 du code forestier.

Article 2 de l’arrêté

C’est ainsi une charge supplémentaire déléguée aux communes. Finestret est la commune la plus impactée. Quant à la commune de Joch, elle n’est impliquée qu’en raison du passage effectué sur son territoire par le tracé prévu ; dans une logique d’économie, elle ne devrait pas l’être.

On peut s’interroger sur la réelle capacité de ces communes, ou de la Communauté qui les représentent, à assurer une maintenance correcte sur le long terme. Le projet, à cause de son tracé détourné, ne semble pas opter pour un coût minimum et ne semble pas favoriser une maintenance aisée.

Il ne sert à rien d’ouvrir une piste pour l’abandonner ensuite à l’érosion, pouvant s’étendre dans les versants fragiles ; il n’est pas non plus utile de créer une réserve d’eau, pour l’abandonner ensuite, ou l’utiliser parfois à d’autres fins. Au-delà de leur impact visuel et paysager, les pistes DFCI peuvent accentuer la fragmentation des habitats naturels, perturber les écosystèmes et accroître leur vulnérabilité.

Mission d’évaluation relative à la DFCI, 2016 tome 1 rapport page 89

6. Un avis scientifique

L’avis d’un expert dans le domaine de la dynamique des feux été sollicité. Il s’agit de Monsieur Aymeric LAMORLETTE, enseignant-chercheur au sein du laboratoire IUSTI (Institut Universitaire des Systèmes Thermiques Industriels), unité de recherche mixte de l’Université Aix-Marseille et du CNRS. Voici ses conclusions :

Ensemble du projet

Au vu du nombre de feux observés dans le passé, croisé avec le risque incendie, et au vu du faible nombre de structures potentiellement à protéger, le projet semble peu approprié aux objectifs visés. En effet :

  • Il apparaît qu’il n’y a pas dans ce secteur de grandes unités forestières. Il n’y a pas non plus d’infrastructure caractérisée. La zone ciblée est une zone de landes et de pacages, largement occupée par les troupeaux appartenant à des éleveurs locaux, pouvant servir, si elle est entretenue, de coupure de combustible
  • La fonction de desserte des hauteurs Ouest de Glorianes, en vue d’entretien, est déjà assurée par deux pistes existantes : une sur le versant Lentillà (mas Cougat) et une autre, plus directe et facilement aménageable, sur le versant Est (Glorianes).
  • Il est question, à l’aide de cette nouvelle piste, de raccourcir les délais de transit pour accéder aux points d’eau. Or, il n’y a aucun point d’eau naturel dans le secteur desservi. Si un point d’eau est créé (à Font Chervis, par exemple), l’eau devra y être apportée nécessairement par voie routière. Les points d’eau disponibles à proximité sont situés sur le versant Glorianes, c’est-à-dire complètement à l’écart du tracé prévu.
  • Le secteur le plus stratégique en cas de grand feu est celui des crêtes Est, au-dessus de Glorianes, en limite de commune avec celle de Boule d’Amont (Roca Roja). C’est pourquoi, imaginer un accès à ce secteur aussi excentré que celui qui est retenu dans ce projet, depuis la vallée de la Lentillà, est irrationnel car cela impliquerait des délais de transit routiers extrêmement longs, en tous les cas bien plus longs que l’accès des crêtes Est précité.

Choix du tracé

Le choix retenu est celui d’un tracé en balcon enveloppant le sommet du Puig des Feixes. Si ce choix apparaît cohérent par rapport à l’ensemble du projet, il comporte néanmoins un long passage, tout-à-fait évitable, face au vent dominant et situé en contre-haut d’une pente couverte de maquis (« possible poudrière ? »). Dans un scénario de grand feu venant de Joch, la position inévitablement exposée de ce passage rendrait toute intervention à la fois dangereuse et peu opérationnelle. Cela d’autant plus que, en remontant la pente, le feu ne risque de croiser ni infrastructures ni exploitations agricoles.

Rôle présumé de protection des villages de piémont

Un argument récurrent en faveur de la création de ce projet consiste à affirmer que ce projet éviterait la propagation d’un incendie vers les villages de piémont. Or, la situation des villages en contre-bas des massifs ne nécessite aucunement la création d’une piste essentiellement montante pour les protéger. En effet, la piste projetée ne peut, en aucun cas, jouer un tel rôle ne serait-ce en fonction du vent dominant, servi comme justifiant ce projet. Une éventuelle « zone d’aide à la lutte » de proximité serait nettement plus pertinente. C’est pourquoi cet argument apparait notoirement fallacieux.

Synthèse

Le projet, tel qu’il est défini, ne conforte et n’optimise aucun des objectifs visés. Ce projet ajouterait une desserte supplémentaire, voire redondante, d’une zone à vocation de pacage, et obligerait à des délais de transit extrêmement longs pour accéder aux secteurs vraiment stratégiques.

La décision de la construction de ce tracé, tel qu’il est présenté, est donc un non-sens. Manifestement, si projet il doit y avoir, ce projet doit être revu dans une perspective réellement pragmatique et faisant preuve d’une véritable volonté de respect du milieu naturel et de la réalité du terrain.

Voir ici l’analyse en format pdf

7. Conclusion

Alors que l’objectif déclaré semblerait s’inscrire dans le cadre d’une démarche de défense contre l’incendie, l‘unique objectif qui sera réellement atteint par ce projet est l’accessibilité, réservée aux ayants-droits, par véhicules motorisés des abords immédiats du Puig de les Feixes et des belvédères les plus remarquables de ce massif. La prétention du dossier de présentation du projet comme étant un projet « structurant » est loin d’être démontrée.

La crête située au sud du Puig de les Feixes est en effet une zone de pacages et de landes rases, qu’il convient de maintenir en cet état, et qui ne présente aucun intérêt infrastructurel. Aucune construction autre que des cortals ruinés.

landes au sud du Puig des Feixes

Il est ainsi possible de relever un faisceau d’éléments concordants qui laissent penser que la cohérence de ce projet n’est peut-être pas liée à une authentique vocation DFCI et que d’autres intentions, plus contestables, sont sous-jacentes. Ce faisceau d’éléments amène à une hypothèse que l’on ne peut pas écarter, analyse ici.

D’autres perspectives sont possibles

Il semblerait pertinent de penser l’aménagement du territoire des P.-O. selon un nouveau paradigme, celui de la sobriété, paradigme auquel le projet CO 110 ne semble pas se conformer. En l’espèce, le rapport PAFI préconisait un accès court à partir de Glorianes, sans doute moins onéreux, moins impactant et d’un entretien plus facile. Pourquoi écarter une telle variante ? Des solutions alternatives existent.

Le Collectif PuigdelesFeixes ne s’oppose pas la politique DFCI dans son ensemble. Il pointe du doigt ce projet précisément, et lui seul, en raison, d’une part, du rapport désastreux entre bénéfices hypothétiques espérés et dommages environnementaux induits, et en raison, d’autre part, d’une interférence plausible entre une prétendue vocation DFCI et de possibles intérêts particuliers.

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