Le projet « piste DFCI CO 110 » constitue un cas d’école à bien des égards. Voici un inventaire de quelques éléments singuliers qui posent question.
1. Des arrêtés préfectoraux édulcorés, voire partisans
1.1. Le projet DFCI CO 110 et l’arrêté préfectoral du 24 juillet 2023 : une minimisation
Cet arrêté indique une « pérennisation » et une « mise aux normes » de la piste CO 110. Une « pérennisation » et de même une « mise aux normes » s’applique à une entité déjà existante, qu’il convient de modifier. Or, l’essentiel de la piste CO 110 n’existe que sur le papier : ce projet nécessite l’ouverture de plus de 3,5 km de piste nouvelle.
La réalité des faits ne semble pas être correctement décrite.
1.2. La DFCI CO 110 et l’arrêté préfectoral du 7 mai 2024 : un mythe un déni et une précipitation
Plusieurs articles de cet arrêté préfectoral, au texte quelque peu caricatural, interrogent :
En premier lieu, parmi les « vus » préalables à l’arrêté il est indiqué, à propos des conclusions du PAFI 2018 :
la priorité donnée à l’aménagement concerné par ce projet de servitude
Or, le PAFI 2018 mentionne ce projet pour en souligner les faiblesses, et non pour le prioriser. La prétendue priorité de ce projet semble bien être un mythe.
En second lieu, parmi les « considérations » préalables à l’arrêté, deux attirent l’attention particulièrement :
Ce projet de servitude va permettre de pérenniser l’équipement DFCI concerné sans impact majeur sur les parcelles traversées
Considération numéro 3
Cette considération apparait comme un déni délibéré dans la mesure où l’attention a été à plusieurs reprises dûment attirée sur les impacts négatifs résultant du choix du tracé.
Le risque d’incendie s’est considérablement accru depuis deux ans sur le département des Pyrénées-Orientales et qu’il est ainsi nécessaire d’accélérer le maillage du territoire en équipements DFCI.
Considération numéro 1
Dans ce cas, pourquoi prioriser cet équipement particulièrement ? Comment expliquer, par exemple, que la résorption des points noirs routiers qui, selon le rapport PAFI, entravent l’accès au village de Glorianes où les enjeux semblent autrement plus importants, ne bénéficierait-elle pas d’une telle priorisation ?
De façon générale, les termes utilisés dans cet arrêté préfectoral interpellent par leur parti pris. Ils semblent témoigner d’une enquête préalable insuffisante, peu compatible avec la démarche usuelle de concertation préconisée par l’autorité de tutelle :
Prendre en compte très en amont des projets de DFCI les impératifs de protection des espèces, des habitats et de la ressource en eau, puis faire réaliser les études d’incidence, notices ou études d’impact nécessaires et, le cas échéant, recueillir l’avis de l’autorité environnementale.
Mission d’évaluation relative à la DFCI (rapport 2016)
2. Des délibérations municipales déformées
Ce projet a fait l’objet de délibérations municipales en 2022 et 2023.
2.1. Des délibérations incorrectement décrites
La formulation des délibérations des trois communes est identique, comme si la rédaction de ces délibérations avait été dictée. On peut s’en étonner :
Monsieur le Maire
Expose au Conseil Municipal la situation foncière de la piste DFCI CO 110
Rappelle que ces ouvrages sont prescrits dans le PAFI Conflent
Propose pour régulariser le statut de ces voies de saisir Monsieur le Préfet des PO en vue d’obtenir au profit de la commune une servitude de passage prévue par le Code Forestier dans les articles (…) pour assurer la continuité des voies de défense des forêts contre l’incendie.
Demande à l’assemblée l’autorisation de solliciter de Monsieur le Préfet une servitude de passage au profit de la commune (…).
cf Délibérations des communes concernées
Selon cette formulation, Il semblerait que la demande de servitude émane des communes elles-mêmes. Or, il n’existe apparemment aucune trace antérieure de délibération de quelque Conseil Municipal que ce soit portant ni sur une proposition de demande ni, plus généralement, sur l’élaboration du projet. Lorsque les délibérations ont eu lieu, le projet était déjà complètement finalisé.
Il semblerait qu’il n’y ait jamais eu de concertation préalable. Cette situation de quasi omerta lors de la phase d’élaboration du projet est profondément regrettable. Elle a permis de laisser trop longtemps le champ libre à une poignée de « connaisseurs » de la montagne autoproclamés et, possiblement, intéressés.
2.2. Une référence commune au permis de circuler
Les délibérations se terminent toutes par la même remarque :
(Le conseil municipal) prend également bonne note qu’un arrêté municipal sera ensuite indispensable, en vue de réserver la circulation sur cet itinéraire DFCI aux services communaux, aux services concernés, aux
propriétaires riverains et leurs ayants-droit.
Ce rappel fait référence à la notion d’ayants-droits. Un tel rappel serait a priori inutile puisque l’arrêté préfectoral détermine cette notion. Cependant, ce rappel permet de réserver à chaque municipalité la possibilité d’en donner sa propre interprétation. Il existe, par exemple, cette « définition règlementaire » :
Il convient de définir par « ayants-droits » :
Préfecture du Var, réglementation de l’accès aux massifs forestiers, 2018
- Les propriétaires des fonds desservis, leurs ascendants et descendants
- Les locataires des fonds desservis, leurs ascendants et descendants,
- Les prestataires de service ou de travaux liés aux propriétaires ou locataires
- Les détenteurs du droit de chasse sur les fonds desservis pour l’exercice de la chasse.
3. Le cas particulier de la délibération de Joch
La délibération du village de Joch se distingue des deux autres, car le Maire du village s’y montre, a minima, un ardent défenseur du projet :
Monsieur le Maire expose de son côté ses arguments en faveur de la création de ce projet (…) Il rappelle le gros incendie, dont il a été témoin, qui a dévasté le site et menacé le village de JOCH dans les années 80. Lors de cet incendie une piste DFCI aurait évité que le feu ne se propage vers le village.
NB. Le Maire fait référence à un incendie qui a brûlé une cinquantaine d’hectares aux abords du village en août 1983. Cet incendie est répertorié ci-contre sur une carte schématique (extraite du rapport PAFI 2018). Il est clairement apparent que le village de Joch et la piste CO 110 sont situés de part et d’autre de l’incendie, la piste CO 110 en étant de plus fort éloignée. Il est donc impossible que cette piste, si elle avait existé en 1983 ait eu une quelconque utilité. En aucun cas elle n’aurait pu « protéger le village ». L’argument selon lequel « une piste aurait évité la propagation du feu vers le village » n’est qu’une allégation sans fondement (voir aussi Analyse LAMORLETTE).
Pour quelle raison le Maire d’une commune se montre favorable à ce projet au point même d’utiliser un argument fallacieux susceptible d’influer sur la délibération de son Conseil Municipal ?
4. Conclusion : de sérieux doutes : une piste « scélérate » ?
La concordance de ces divers éléments ne manque pas d’être troublante.
- Pourquoi minimiser l’importance des travaux prévus ?
- Pourquoi camoufler, voire nier, leur impact environnemental ?
- Comment comprendre que soit priorisé précisément un projet dans lequel il n’y a aucun enjeu ni humain, ni immobilier, ni forestier ?
- Pourquoi précipiter la réalisation d’un projet sujet à controverse ?
La création de cette nouvelle piste constitue-t-elle une infrastructure « essentielle » et « structurante » ou bien s’agit-il seulement d’une convergence entre une « opportunité DFCI » accessoire et des enjeux lobbyistes portés par quelques élus stratégiquement placés dans les rouages décisionnels ?
Le label DFCI n’est pas nécessairement vertueux. Il peut parfois s’agir d’un pompon à décrocher, particulièrement convoité par des groupes lobbyistes et des intérêts privés (financement public, sacralisation, anonymat des commanditaires, utilisation exclusive, …). Il permet alors :
- De donner satisfaction à un élu local et aux lobbys qu’il représente, qui obtiendront ainsi leur piste, financée généreusement par des fonds publics.
- Du point de vue d’une Comcom, de se donner bonne conscience, en témoignant d’un souci DFCI de bon aloi : action présumée pour la « protection des populations » en investissant des fonds publics importants pour la réalisation d’un projet proclamé « structurant ».
Ainsi, tout le monde y trouve son compte, sauf un milieu naturel de grande valeur irrémédiablement saccagé pour rien. Au vu des nombreux éléments à sens unique relevés dans ce dossier, un tel scénario n’est pas à écarter.
Les habitants des communes concernées ont le droit de s’interroger sur la réelle utilité des travaux entrepris et, en tant que contribuables, sur la bonne utilisation des fonds publics. Il est important qu’ils soient avertis de la possibilité d’enjeux contestables susceptibles d’influer sur les décisions prises.
Le contexte budgétaire actuel, comme le changement climatique qui entraîne à terme une extension des zones concernées par la DFCI, commandent une plus grande rigueur dans les décisions, une hiérarchisation des projets et une vigilance particulière pour le choix des investissements financés sur fonds publics.
Mission d »évaluation relative à la DFCI, avril 2016, page 90
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